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Publié le 17 janvier 2025 à 13h00
Le vent mauvais de la censure souffle toujours dans le très conservateur État du Texas. Le 6 janvier 2025, la police a saisi plusieurs photographies présentées dans l’exposition « Diaries of Home », ouverte jusqu’au 2 février au musée d’Art moderne de Forth Worth, dans la banlieue de Dallas. « Explorant les multiples facettes de la famille, de la communauté et du foyer », l’exposition met en scène le travail d’artistes comme Nan Goldin (née en 1953), Laurie Simmons (1949), et Sally Mann (1951). Sur son site Internet et dans les salles, le musée met en garde ses visiteurs contre le contenu « sensible » de l’exposition.
Le vent mauvais de la censure souffle toujours dans le très conservateur État du Texas. Le 6 janvier 2025, la police a saisi plusieurs photographies présentées dans l’exposition « Diaries of Home », ouverte jusqu’au 2 février au musée d’Art moderne de Forth Worth, dans la banlieue de Dallas. « Explorant les multiples facettes de la famille, de la communauté et du foyer », l’exposition met en scène le travail d’artistes comme Nan Goldin (née en 1953), Laurie Simmons (1949), et Sally Mann (1951). Sur son site Internet et dans les salles, le musée met en garde ses visiteurs contre le contenu « sensible » de l’exposition.
Si le nombre d’œuvres saisies n’est pas encore confirmé par le musée, le mandat de perquisition visait avant tout les photographies de Sally Mann, artiste américaine des plus reconnues : le Metropolitan Museum of Art collectionne ses œuvres et elle a été intronisée à l’Académie américaine des arts et des sciences en 2022. Ce qui n’a pas empêché Tim O’Hare, juge républicain du comté de Tarrant (Texas), de recommander la saisie par le biais d’une déclaration au site d’information local Dallas Express, le 26 décembre 2024.
Relayant les avis de plusieurs visiteurs offusqués par cette exposition montrant des « enfants nus et du contenu LGBTQ+ », Tim O’Hare décrit des « images au mieux inappropriées », devant être « retirées immédiatement et faire l’objet d’une enquête par les forces de l’ordre pour infraction pénale potentielle ». L’homme explique par ailleurs que « les enfants doivent être protégés, et [que] la décence doit prévaloir ». Un jugement étonnant, tant les fonctionnaires américains ont normalement le devoir de respecter et de faire respecter la liberté de création.
De troublantes images
Trois images de Mann posent problème. Bien qu’elles soient déroutantes, aucune ne met en scène d’acte sexuel. Toutes émanent de la série « Immediate Family », sont consultables en ligne, et font partie des collections de grands musées américains, dont le Smithsonian American Art Museum et le Guggenheim Museum. Popsicle Drips (1985) est un plan rapproché du corps nu, couvert de crème glacée, du jeune fils de Sally Mann. The Wet Bed (1987) montre une très petite fille endormie dans un lit, et The Perfect Tomato (1990) est une scène de repas durant laquelle une enfant nue saute sur la table. Ces trois œuvres ne pourront être réexposées avant la fin de l’enquête.
Sally Mann fait-elle les frais du retour du puritanisme à quelques jours de l’investiture de Donal Trump à la présidence des États-Unis ? La morbidité latente du travail de l’artiste a toujours suscité d’intenses débats. En 1986, elle se lance dans la fameuse et contestée série « Immediate Family », où l’on observe le quotidien estival de ses trois jeunes enfants, vivant souvent nus dans un ranch romantique bâti sur 160 hectares de forêts et de prés à Lexington, en Virginie. Leur mère capture leurs jeux de déguisement, leurs goûters, leurs blessures, leurs siestes, leurs draps tachés d’urine, leurs baignades dans la rivière. La mélancolie hante la banalité de ces scènes obtenues à l’issue de longues séances photo orchestrées par Sally Mann. Emmett a 6 ans, Jessie en a 4 et Virginia vient de fêter son premier anniversaire.
En 1992, le livre de photos documentant cette série fait décoller la carrière de Sally Mann, au point que le New York Times note cette même année qu’« avant Sally Mann, aucun photographe n’a connu réussite si fulgurante dans le monde de l’art ». Mais les images choquent. Menaces et censures pleuvent sur celle qui est accusée de créer une imagerie tendancieuse, sensuelle, en exploitant ses enfants. À tel point que, lors d’une exposition de la série au Milwaukee Art Museum en 1991, le révérend Vic Eliason fait venir la police et le procureur pour enquêter. Acculée, la photographe se tourne alors vers de plus consensuels, mais non moins élégiaques, sujets : des paysages, et des cadavres. Elle se défendra de toute velléité malsaine en expliquant que « trop souvent, la nudité, même celle des enfants, est confondue avec la sexualité, et les images avec les actes ».
Deux organisations de défense des droits des artistes et de la liberté d’expression aux États-Unis, la National Coalition Against Censorship (NCAC) et l’Artists at Risk Connection (ARC), pointent du doigt le dangereux précédent de la saisie des œuvres de Sally Mann. La NCAC explique dans un communiqué que « l’allégation selon laquelle ces œuvres constituent du matériel pédo-pornographique n’est pas seulement fallacieuse, elle est profondément dangereuse pour la liberté des millions d’Américains qui souhaitent documenter la croissance de leurs propres enfants sans être menacés de poursuites par le gouvernement. En outre, cette allégation adopte le point de vue du pédophile et dévalorise la gravité des cas réels de maltraitance d’enfants ».
De son côté, l’ARC rappelle qu’il ne s’agit pas d’un incident isolé, mais plutôt d’« un recul généralisé de la démocratie et de la liberté artistique aux États-Unis et dans le monde entier. Le ciblage des femmes, des LGBTQIA+ et d’autres artistes marginalisés, dont le travail remet en cause les normes sociétales, est une tactique courante empruntée aux États autoritaires du monde entier ».